Page • 1Page • 2Revue numérique semestriellewww.incertainregard.comComité de rédaction :Catherine ChampolionHugues DorléansVéronique ForensiPatrick FouretsPaulette GastouJean-Paul Gavard-PerretMartine GouauxPatrick GuillardClaudine GuilleminCécile GuivarchSolène HazouardMarie-France Le CabellecRonda LewisHervé MartinGérard NoiretPatrick TernantLes auteurs peuvent faire parvenir leurs textes à l’adresse mail de la revuecontact@incertainregard.com Le choix proposé doit contenir entre 1 et 10 textes, dans un seul fichier au format.doc, avec des marges ver-ticales et horizontales de 3 cm, en Arial 11. Le titre de chaque texte sera souligné et suivi du nom de l’auteur. Le fichier devra également comporter une notice biographique de l’auteur n’excédant pas 3 lignes.Page • 3EDITORIALPar Martine Gouaux et Gérard NoiretAUTOUR DE PATRICK SOUCHONEntretien avec Patrick Souchon, par Solène HazouardArticle de François Bon sur La chanson de NellPassion de l’ignorance, extrait inédit, Patrick SouchonMISCELLANEES Sélection de la rédactionTerre habitée, Nora ChaoucheL’hiver à la porte d’or. Un ailleurs que je connais, François IbanezChamade, Ariane MartenotHippocampe. Oublier : mode d’emploi ?, Laity NdiayeContributions des « Chantiers d’écriture »L’oiseau à tête orangée, gorge mauve et plumage jaune (extrait), Patrick Fourets Tilleuls pansés. Prosopopée. Le bomus. Mon frère, Claudine GuilleminDans la rue. Cap Coz. La constance des pierres, Anne HoudryLa mer. Quand j’aurai coché toutes les cases, Marie-France Le CabellecL’aigle et le héron, Ronda LewisENTRETIENSFrédéric Cubas-Glaser, par Claudine GuilleminHervé Martin, par Solène HazouardCARTES BLANCHESCarte blanche à Jean-Paul Gavard-Perret : Nicole HardouinCarte blanche à Cécile Guivarch : Valérie Canat de Chizy, Sabine Huynh, Isabelle Lévesque, Jasmine ViguierCarte blanche à Hervé Martin : Georges GuillainPAGE 99, JOURNAL D’UN LECTEURPar Jean PerguetNOTICES BIOGRAPHIQUESPage • 4Dans une période où la poésie se porte mal et où recule l’exigence intellectuelle, il nous a semblé important de poursuivre le travail entrepris par incertain regard depuis des années, tout en y apportant d’autres énergies. A côté de nouvelles rubriques et de nouvelles signatures, les lecteurs retrouveront donc des noms et un état d’esprit qu’ils connaissent déjà. Grâce à la Bibliothèque d’Achères et donc au soutien de la Municipalité de cette ville, chaque numéro comptera 2 rencontres - l’une avec un(e) auteur(e), l’autre avec un(e) plasticien(ne) - , des cartes blanches, des choix d’inédits (y compris audiovisuels), un journal de lecture et (très vite) des notes critiques. N’oubliant pas que les membres du comité de rédaction sont tous issus d’un chantier d’écriture hebdomadaire qui existe depuis maintenant 4 ans, nous comptons rester fidèles à l’attention particulière aux écritures neuves qu’a toujours manifestée la revue.Par Martine Gouaux et Gérard NoiretPage • 5Un entretien avec Patrick SouchonPar Solène HazouardPatrick Souchon est auteur et professionnel de l’éducation. Auparavant directeur d’établisse-ments socio-culturels, enseignant, puis conseiller culturel à la Maison des Écrivains, il est au-jourd’hui chargé de mission pour le livre et la lecture dans l’Académie de Versailles. Il a publié à ce jour trois romans : Les jours chômés ne se comptent plus (Acropole, 1983), La traversée de l’Île d’Yeu (La Table ronde,1987) et La chanson de Nell (Grasset, 2009), autofiction dédiée à sa mère. La lecture de ses deux derniers romans et l’enregistrement d’une conversation menée il y a deux ans avec le poète Gérard Noiret et les lecteurs de la bibliothèque d’Achères m’ont incitée à en savoir plus sur cet écrivain à la fois touchant et discret.Diriez-vous que le chant, ou la musique, se retrouvent dans le style de votre livre La chanson de Nell ?La question centrale est celle du rythme, de l’organisation et de la place des mots dans la phrase, de l’attaque et de la chute, du mouvement que la phrase génère et des effets qu’elle produit. La phrase est un vecteur orienté, porteur de sens. Son mouvement développe une énergie ou une dynamique propre. Dans la perspective tracée par Henri Meschonnic, le poème « traduit une forme de pensée en une forme de vie et une forme de vie en une forme de pensée ». Je dirais la même chose de la phrase et des segments qui la composent. Faire passer du, ou un courant dans le langage produit de l’énergie, en cela l’écrivain est un fil conducteur qui transmet des intensités et des capacités de puissance. Le rythme étant à la base du chant et de la musique, c’est bien une voix que l’écriture cherche, porte, traduit, incarne. Dans La chanson de Nell et La traversée de l’Île d’Yeu, vous optez pour une temporalité qui n’est pas linéaire. D’où vient ce choix ?La langue a la propriété de se développer dans la durée, de même que la vie se perçoit dans le développement des jours selon un ordre censé être immuable à notre échelle, mais dont la science nous dit qu’il ne l’est pas. La durée est ce par quoi nous accédons à la réalité et à la conscience du temps. Mais qu’est-ce que la réalité, qu’est-ce que le réel ? Le temps est-il immo-bile ? Le monde offre différentes réalités dans lesquelles se croisent différents rapports au temps. De même, il y a différentes formes de vie : consciente, inconsciente… Le monde que nous per-cevons est fait de plusieurs à travers lesquels l’être cherche un sens. La non-linéarité est à l’image de notre psyché qui décompose et recompose le réel en cercles successifs formant une espèce de chaîne. C’est à travers cette chaîne invisible, immatérielle, que nous nous déplaçons comme à travers une succession de “mondes flottants”.Que signifie pour vous le passage du “je” au “il” dans la narration de ces deux ouvrages ?Nous sommes faits de plusieurs et passons facilement d’un registre de l’énonciation à un autre. Nous vivons et nous nous voyons vivre. Dans Soi-même comme un autre, le philosophe Paul Ricœur tente de refonder le soi dans son rapport avec l’altérité. Ne sommes-nous pas tous plus ou moins étrangers à nous-mêmes ? L’autofiction, dont ces deux livres relèvent, est la prise de conscience des potentialités de l’altérité en soi. Page • 6Qu’avez-vous écrit et publié pendant les 22 ans qui séparent vos deux derniers romans ?Des articles et des ouvrages d’enseignement. Je me suis consacré à la littérature comme pratique dans l’enseignement secondaire et à l’université, en particulier dans le cadre de la formation continue des enseignants de lettres. Le seul livre dont je pourrais être fier : La langue à l’œuvre, publié aux Presses du réel. Ouvrage que je n’ai pas écrit mais dont j’ai assuré la conception et la coordination, dans lequel on trouve des textes d’universitaires comme Dominique Viart, d’écri-vains qui resteront et qui tous sont convaincus qu’à travers les ateliers, une forme particulière de transmission peut avoir lieu. François Bon, Leslie Kaplan, Gérard Noiret, pour lesquels une autre répartition des savoirs et des savoir-faire est possible, un autre partage du sensible comme l’écrit Jacques Rancière dans Le spectateur émancipé. Un partage susceptible de mettre en œuvre « les capacités de sentir et de parler, de penser et d’agir qui n’appartiennent à aucune classe particulière, qui appartiennent à n’importe qui ». Quel regard portez-vous sur les livres que vous avez publiés ?Je suis convaincu que ces textes n’ont que très peu d’intérêt. Ils ne correspondent pas à l’attente ni à l’espoir qui me portaient à écrire. Compte tenu du fait qu’il faudrait cent cinquante mille ans à un lecteur expert ou chevronné pour venir à bout de l’ensemble des livres publiés à ce jour, et répertoriés à la Bibliothèque nationale de France, je conseille vivement à ceux qui souhaiteraient lire les livres dont je suis l’auteur d’éviter de perdre leur temps et de passer directement à Bon, Faulkner, Modiano, Proust, Pérec, Sarraute et les autres. Votre mère joue un rôle particulier dans votre rapport à l’écriture : qu’a-t-elle pensé de vos deux premiers romans et qu’aurait-elle pensé selon vous de La chanson de Nell ?Pour les deux premiers finalement, je n’en sais trop rien. Elle trouvait l’écriture originale, disait qu’elle n’avait lu ça nulle part, ce qui était à la fois positif et négatif, laissant entendre que, fina-lement, c’était un peu fou, un peu compliqué. Ce qui est sûr, c’est qu’elle aurait aimé les voir partout, en devanture des magasins, sur les listes des prix littéraires. Cet espoir insensé l’habitait. Attentive à la réception et à la critique, elle fut sans doute très déçue. La chanson de Nell, je pense qu’elle aurait adoré. Quel sens donnez-vous à l’écriture ?L’écriture nous permet de penser ce qui demeurerait impensé si on n’écrivait pas. Mais l’idéal du texte dont l’ombre se profile derrière chaque phrase, chaque paragraphe, qui nous pousse et nous retient, finalement nous épuise ; alors seulement on finit le match éreinté vite fait. Quels sont vos projets ?Finir Passion de l’ignorance, le roman dont la revue incertain regard me fait l’amitié de publier un extrait.Page • 7Frédéric Cubas-Glaser - Cauchemar goyesque - le syndrome Zelig (05/14)Page • 8Patrick Souchon | Nell Pierlain, écrivainpar François Bon, avec son aimable autorisationTrouver sa propre écriture via celle qui en fit un métierLa littérature naît depuis toujours dans l’appel des morts. Quelquefois directement : les Oraisons de Bossuet les convoquent et les font surgir devant le lecteur, et Saint-Simon dresse ses vies à reculons, depuis l’instant où on apprend cette mort. Quand le deuil vous traverse, l’écriture ne compte pour rien. Et il y a plein de livres sur la complexité de ces passes. C’est ensuite, quand le deuil devient travail, que reviennent les rêves, et que la nuit les morts vous parlent. Alors on n’a pas le choix, que d’écrire. C’est ainsi qu’a surgi, chez ce type de 37 ans qui n’avait rien réussi jusqu’ici, La Recherche du temps perdu. Et on en a dans nos bibliothèques, de ces livres plus secrets, écrits sous un impératif, et qui témoignent d’une vie. Quand j’ai reçu, en cours de route, les premiers états du texte de Patrick Souchon, j’ai reconnu ce qui m’était arrivé il y a maintenant 8 ans, après le décès de mon père : ce que ça ouvre brutalement en soi-même de zones interdites, intouchées.Dans le récit de Patrick Souchon, deux moments biographiques aux deux extrêmes d’une chaîne : un accident de voiture, où le père, prof d’histoire, soudain n’est plus. À l’autre extrême, la perte d’identité via Alzheimer (on se souvient il y a un an du beau travail d’Olivia Rosenthal). Au plus haut de ces passes extrêmes, il y a probablement Lambeaux de Charles Juliet : livres qui nous renforcent.Mais ce qui dérange l’ordre du récit de deuil, c’est cet échange qui concerne l’écriture : ce n’est pas le premier travail d’écriture de Patrick Souchon, et ça aussi c’est une autre ligne de partage - responsable à l’action culturelle, littérature, ateliers d’écriture, formation des enseignants, dans une des plus grandes académies, le quotidien que nous partageons avec Patrick c’est que la lit-térature, poésie, roman noir, slam, c’est une transmission, une invention dont le livre est un outil, mais qui s’appréhende bien plus globalement. Mais s’appréhende dans l’exigence : ce que nous nommons culture, littérature, écriture.C’est là où ce livre est unique : la jeune mère, après l’accident de voiture, devient écrivain. Elle prend un nom de combat, qu’elle forge d’après cette chanson de Fauré, Nell, que chantait le mort, Pierre, avec l’autre fils, Alain : Nell Pierlain. Et viendront des dizaines de ces romans popu-laires, parce qu’il n’y a pas le choix, parce qu’il y a les enfants à élever.Le pathos ce n’est pas le genre maison : la question, c’est qu’est-ce qu’il reste. Et, de ce qui nous attache à la littérature, qu’est-ce qui ici se joue, ou ne se joue pas mais nous enseigne ? Et, dans ce qu’on forge soi en reprenant la main, en écrivant ce que fut Nell Pierlain, qu’accomplit-on qui vous porte vous-même à l’écriture ?J’avais sur l’écran de mon ordi ces premiers fragments de récit en septembre, dans le train pour une lecture à Chaumont, à l’invitation de Georges-Olivier Chateaureynaud, lui aussi plusieurs fois invité par Patrick sur le terrain où se bat, au quotidien, dans l’éducation nationale et on en parle. Après, ce fut leur histoire, G-O est éditeur chez Grasset, le livre arrive au terme de son voyage. Pour Patrick, je ne sais pas de quoi, après un tel livre, on peut hériter pour soi-même. Mais cette figure-là, de l’écriture, je ne sache pas qu’elle ait précédemment été dite.François Bon © Tiers Livre Éditeur, tous droits réservés1ère mise en ligne 19 mars 2009 et dernière modification le 19 avril 2009Page • 9Passion de l’ignoranceRoman, extrait inéditPatrick Souchon…chaque fois que je convaincs quelqu’un d’ignorance, il s’imagine que je sais tout sur ce qu’il ignore. Platon - Apologie de SocrateMais la perte de la permanence et de la solidité du monde - qui, politiquement, est identique à la perte de l’autorité - n’entraîne pas nécessairement, la perte de la capacité humaine de construire, préserver et prendre à cœur un monde qui puisse nous survivre et demeurer un lieu vivable pour ceux qui viennent après nous.Hanna Arendt - Crise de la culture 1Sur le boulevard, pas un banc où s’asseoir, pas un kiosque, les genoux fléchissent, les efforts fournis ne permettent plus de maintenir les jambes droites. La partie inférieure du corps bascule et part en vrille. Elle glisse. Inutile d’espérer faire un pas de plus au milieu de la foule. Elle titube. Au loin la côte, les péniches du débarquement ; plus près la file des voitures, le cortège des majorettes comme arrêté, et plus près encore les curieux, le chef de la batterie-fanfare, chemise noire ouverte sur trois boutons, photographié alors qu’il lance en l’air la canne à pommeau d’or qui compose là-haut, à cinq mètres au-dessus du sol, une figure aveuglante, vu le soleil.Marie a reçu un mauvais coup. Quelques instants plus tôt, un autochtone à casquette auréolé de la déesse Niké, un jeune répondant au nom de Kévin a sorti de sa poche un objet tranchant, frappé à l’aveugle, quelque part dans l’aine. Le gamin a disparu. Souvenirs de ses pas caoutchouc sur le trottoir, félin en fuite qui esquive et dribble. Ce que les oreilles ramassent alors au gré des échanges sur le trottoir, propos de circonstances : on ne parle que de Calais, mais ici au Havre c’est pire. Comment voulez-vous, tant d’étrangers sur les routes et les plages, tant de gens pous-sés hors du monde par la guerre et la faim. Les passants stupéfaits auxquels Marie s’adresse - help, I am going to die - curieuses grimaces sur tapisseries anglo-normandes. Touristes vus de profil, jeunes gens, jeunes filles, gros Bibendum en shorts venus dans la station prendre l’air, assister aux commémorations. Les cérémonies : un spectacle, une attraction. Enfants revenant de la plage avec pelles et bouées ; tous contemplent silencieusement le mannequin qui danse.Toute chose en un jour s’abaisse et se relève - de quel aveuglement a-t-elle été victime ? Ô mes parents d’hier et d’outre-tombe tant de fois invoqués, ce n’est pas un migrant, mais un petit blondinet, natif de Rouen, qui m’est tombé dessus en me prenant pour cible. Arrivée au terme d’un épuisant faux plat – un bureau au siège du consortium, une carrière assurée dans la formation des courtiers, l’assurance de revenus confortables – elle avait fini par céder, elle était allée chercher l’inspiration au sommet des falaises, parmi les marguerites et les coquelicots, non loin des anciennes casemates allemandes. Du cimetière où elle s’était rendue la veille, on peut admirer les stèles et les mausolées érigés par les anciens en souvenir de ceux qui ont débarqué, ont lutté, se sont battus. Face au vide, le tapis d’herbe tendre annonçant le précipice, on pense à ceux qui ont souffert, ont pris position, à l’ombre des forêts, le long des valleuses et des rivières.Next >