fin de droit

de quel droit

Michel Le Bris

Écrivain, Directeur du festival Etonnants Voyageurs

 

Un des chocs de ma vie aura été la découverte, vers le fin des années 70, d’un jeune

homme seul sur scène dans la grande cour des Jacobins qui soulevait littéralement

d’émotion une foule compacte, émue : Yvon Le Men. Il venait de publier, en 1974 un

recueil aux éditions JP Oswald qui avait valeur de manifeste : Vie. J’avais bien sûr assisté

à maints spectacles de poésie, dits par des comédiens, parfois avec talent, mais à rien qui

se puisse comparer au spectacle auquel j’assistais : un artiste jouant sa vie sur scène.

Le rencontrant, je découvrais un jeune homme qui avait – et je crois qu’il s’agit,

encore aujourd’hui d’un cas unique – choisi de « vivre en poésie » : de vivre au sortir de

ses études de sa poésie ( avec ce que cela représentait d’héroïsme fou et/ou

d’inconscience, alors, et je sais combien cela fut matériellement difficile) en faisant de

son travail de poète une « oeuvre-vie ». Et dès lors il n’aura cessé de sillonner la Bretagne

puis la France et progressivement bien au-delà, proposant des spectacles de poésie dont je

vois mal comment on pourrait les distinguer de spectacles, par exemple, de chanteurs –

avec lesquels d’ailleurs il s’est produit souvent, puisque dans ces années il fit partie de ce

groupe d’artistes, conteurs, musiciens à l’origine du renouveau en Bretagne de la culture

celtique.

Metteur en scène, acteur, diseur exceptionnel, il continue depuis toutes ces années à

porter ses spectacles poétiques dans des lieux les plus divers, et les plus populaires, il

représente un cas unique – salué comme tel par les plus grands critiques. Ne pas le

reconnaître, au delà des conséquences financières, serait tout simplement nié ce qui aura

été sa vie.

Passeur de poésie, par ses spectacles, il se sera fait également passeur de poètes. En

intégrant les oeuvres d’autres poètes dans ses spectacles, certes, mais surtout en inventant

une forme nouvelle impliquant les poètes invités, forme que je ne peux qualifier d’autre

mot que de « performance ». C’est en découvrant ces performances au « Carré magique »

de Lannion que, directeur du festival littéraire Etonnants Voyageurs, je l’avais invité en

1997 à les reproduire, ou à imaginer quelque chose de semblable adapté au cadre d’un

festival littéraire brassant les littératures du monde entier et les toutes les formes

littéraires.

Performance, et non animation, débat d’idées, présentation d’invités comme nous

en proposons près de 300 en 3 journées, rétribuées comme telles à des animateurs,

journalistes, homme de radio ou de télévision. Performance, impliquant un gros travail de

préparation en amont, et si originale qu’elle aura réussi à faire de la poésie vivante un des

axes forts du festival, faisant salle comble au fil des 3 journées.

Performance, toujours sur le fil du rasoir, à chaque fois réussissant à faire sortir de

lui-même le poète invité jusqu’à le faire sentir partie prenant de l’événement en cours,

performance d’Yvon Le Men habitant les poèmes de son invité, qu’il interprète.

Et performance, par sa capacité à intégrer en un spectacle unique les genres les plus

divers : quel autre poète serait capable de mettre en scène, ensemble avec lui, comme à

Bamako, Brazzaville, Port-au-Prince, où nous avons créé des éditions du festival, et à

Saint-Malo poètes « classiques » et slameurs ? C’est pourtant ce qu’il a réussi à chaque

fois ( spectacle de clôture, spectacle chaque dimanche matin après la remise du prix

Ganzo de poésie, par ex.) Et c’est pour cela que je l’ai engagé dans l’aventure Etonnants

Voyageurs, pour cela, qui n’a rien à voir avec de « l’animation » de débats, qu’il est

rétribué.

Auteur d’une « oeuvre-vie » qui impose le respect, il aura su faire de sa participation

à Etonnants Voyageurs un moment fort de cette oeuvre et je lui en suis profondément

reconnaissant. Que cela puisse lui être contesté me trouble profondément. Que cela lui

soit nié susciterait une grande émotion du monde littéraire qui a maintes fois salué en lui

un exemple.

Michel Le Bris, le 29 septembre 2013

Mis à jour le 12 janvier 2016

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