Les méditations de Nicolas Repac

« Êtes-vous prêts à méditer ? » lance Nicolas. Un piano, une batterie, une guitare. Rien d’extraordinaire à première vue. Puis on découvre, posés par terre, presque négligemment, des flûtes en bambou maigres et enflées, un cylindre aplati en cuivre ouvragé — est-ce un hang ? — une sorte de jarre, un étrange tuyau enroulé comme un cor, de quoi aiguiser ma curiosité et, le seul dont je sois sûr du nom, un santour.1 Au fond, un grand écran patiente sagement, comme nous, avant de changer d’univers. Je connais Nicolas Repac pour l’avoir entendu accompagner de sonorités improbables, épurées et discrètes, des poèmes créoles2 portés par la voix tantôt fêlée, tantôt pure d’Arthur H. Je suis prêt, attentif, disponible, déjà curieux des « Méditations sonores de Nicolas Repac ».

Le piano aérien de Patrick Goraguer et la guitare de Nicolas Repac, entre blues et balade, d’un jeu énigmatique à la Erik Satie, sur projections3 de formes, halos et brouillards, la radicalité du noir et blanc, annoncent puis accompagnent une lente récitation qui nous embarque quelque part à bord d’une automobile que l’on sent immédiatement Cadillac, Ford ou Oldsmobile, dans un paysage américain. Est-ce Kérouac ? Mais quelque chose me gêne. « autoroute 40… villages engourdis le long d’un fleuve gelé… le peuple invisible. » C’est plus au Nord. Canada ? Québec ? La langue chante peut-être plus, mais on sent les mêmes obsessions, la route, les paysages, la torpeur du moteur et de l’alcool. « Nous sommes bien chez les nordiques qui boivent à perdre la tête en dansant une folle gigue. » J’ai lu cela mais je sèche — langue au chat. Frédéric s’il te plaît ? Dany Laferrière4 me dira-t-il après le spectacle au bar chaleureux du Sax ! J’y suis.

Puis arrive l’invitée. Une silhouette noire, un visage de bonze au féminin, un texte psalmodié, mots qui sonnent par eux-mêmes jouant de leur sonorité, puis la voix qui s’élance, le rythme qui gonfle ; elle se joue des tessitures et des timbres, du cristal et des échos, semble, sur une surprenante mélopée envoûtante, « soit soi sphère… ballon élastique… soit soi… énorme boule, en équilibre, sur une jambe… sur une seule jambe5 » que transcendent les images lunaires, boules et cratères du vidéaste qui opère mystérieusement dans l’ombre de ses images, de ses formes et de sa loupiote et les éclairages stellaires que nous concocte la régie.

OTTiLiE [B] se dédouble, étrange mezzo et siffleuse à la fois — autour de la bière, le mystère sera éclairci : pas d’artifice électronique ; un positionnement de la langue qui sépare les harmoniques, une tradition lapone apprise sur le tas, par curiosité, avidité de pratiquer tous les arts vocaux, lapons, créoles ou soufis — pendant que je cherche à démasquer les auteurs. Néant. Quelques textes résolument oulipiens comme un curieux bidon vide de matière et vif d’air ou des textes équivoques, « mini… minois… donne tes ailes que je décolle »non« des elles »6, habillées par les rifs de la guitare électrique, les bruissements du hang ou les battements du tambour ou profondément sensuels « Au bord des lèvres ».

Puis sur fond de route qui roule, de panneaux qui défilent, de lignes blanches qui bifurquent et se croisent, sur feulements de la guitare, la lecture hypnotique de « Sur la route » de « Jack Kérouac », quand les yeux de Nealbrûlent à force de conduire et qu’après « d’étranges villes-carrefours du toit du monde… au fil du désert étincelant… [on découvre] Mexico au crépuscule ! »

Méditation ? Pour Nicolas peut-être. Pour moi, pour nous, public, exploration… explosion de bonheur curieux.

Sûr, je reviendrai pour le deuxième épisode, promis par Jérôme et Fred, prochainement programmé.

Jean Perguet, le 13 novembre 2018

  1. Vérification faite auprès des artistes, pour savoir : rammerdrum (espèce de hang), arc à bouche, flûte harmonique, Hulisi (flûte chinoise), udu et santur, tous acoustiques ; et un ebow (archet électronique pour guitare)
  2. L’Or noir, disque d’Arthur H et Nicolas Repac sorti en 2012 chez Naïve mais découvert en live au festival « Étonnants voyageurs » de Saint-Malo.
  3. Projections vidéo de Julien Appert.
  4. « L’énigme du retour » de Denis Laferrière, Grasset 2009, Prix Médicis.
  5. OTTiLiE [B] a interprèté des poèmes de Christophe Tarkos : « Le bidon », « La boule » et « Je vis parce qu’il est agréable de vivre ».
  6. OTTiLiE [B] a interprété « Donne tes elles », « Je vois », « Au bord des lèvres », « Survive » qui ont été enregistrés, avec la participation de Nicolas Repac, dans l’album Histoires d’O2 (Deluxe Version) paru chez Internexterne en 2014