L’appel de la Meije
Je ne sais pas à quoi pensent nos petits. Au lac gelé dans lequel j’ai prétendu (quelques minutes) avoir péché, comme un esquimau, le saumon fumé que nous avions dégusté à midi ? Au tunnel, qui à l’entrée du barrage semble ingérer les voitures et les camions ? À la tempête annoncée pour le lendemain et qu’ils attendent comme un test de montagnard éprouvé ? Face à ce paysage, qui s’est décliné sous tous les temps, nous avons pu leur raconter plein d’histoires, plus ou moins réelles.
Pour moi, ce pic, qui semble ici petit, si lointain, c’est une image vue, adolescent, dans un de mes livres de montagne, face hivernale, en noir et blanc, qui illustrait l’un de mes livres de chevet, «Les conquérants de l’inutile», «Étoiles et tempêtes» ou «la route des Alpes», je ne sais plus, quand je rêvais de conquérir tous les sommets, les 3000 qui me faisaient face dans la plaine de Pau, les 4000 qui m’attendaient dans les alpes, sans oser rêver des 7000 des Andes ou de l’Himalaya. Ce triangle pointu s’est gravé dans ma mémoire et reste encore, pour moi et sûrement pour toujours, inviolé.
Que deviendra la Meije pour ces trois enfants ? Pour l’instant un mom abstrait cité et admiré par leur grand-père, histoire de plus ou réalité. Puis, hiver après hiver, au feu et à mesure de leur progrès en ski et à pied, peut-être une destination, un but. Serais-je celui qui leur transmettra la passion de la neige dure qui craque sous les peaux de phoque, le vertige du pied sûr ?
En tout les cas ce peut être un objectif commun. Comme guide ou guidé ? Quand j’étais l’adolescent qui rêvait de la Meije, je connaissais un vieux monsieur qui, chaque année, allait célébrer Noël en haut « del Monte Perdido ». Il parait qu’il a fêté là-haut son quatre-vingtième noël.
Le temps de laisser les enfants grandir et m’y accompagner, s’ils le souhaitent encore ; et moi toujours.