Maison Decroix, de Frise à Vaux par la Montagne. Samedi 23 avril 2011

Week-end de Pâques. Pâques aux tisons d’après la météo. Nous décidons de nous échapper vers Amiens pour une plongée dans l’Acheuléen, puis de remonter vers le nord-est à Vaux. Envie de randonner dès l’aube le long des bras et des étangs de la Somme, puis de chercher les printanières orchis pourpres du larris de la Montagne de Vaux.

Cinq heures du soir, nous quittons les carrières de Cagny qui, exposées au nord, restent dans l’ombre. Il est temps de trouver une chambre d’hôte autour de Vaux. La chance nous a conduit chez Bernard Decroix, éleveur d’anguilles, propriétaires d’étangs et qui propose de confortables chambres d’hôtes et des chalets donnant sur le canal.

Nous aimons partir à l’aube. Nous pouvons quitter directement le gîte. Bernard nous a indiqué comment couper à travers ses étangs, par la «chaussée», retrouver Vaux et le sentier de la Montagne de Vaux. Immense sentiment de liberté, de  fraicheur, de santé que d’attendre l’apparition du soleil. Grenouilles et crapauds s’en donnent à gorge déployée. Quelques pécheurs de carpes sortent de leurs sacs de couchage.

La lumière est dorée. Peu de brume ce matin. Nous en espérions plus. Mais les silhouettes des arbres sont enchâssées dans un écrin baroque.

Nous sommes exactement dans ces marais que Blaise Cendrars décrivait, en pleine guerre, dans «la main coupée». En pleine horreur, avec la complicité de la nuit, son escouade avait confisqué un bachot leur permettant ainsi de patrouiller «paisiblement». A notre tour, mais confortablement «en paix, nous voici donc découvrant ce monde lacustre évoqué par les mots de Cendras :

«Car il y avait encore pour nous désorienter tout en nous rappelant à l’ordre des effets surprenants de brume et des enroulements et des désenroulements de brouillard sur l’eau, des mouvements et des éclairages de nuages et des apparitions et des disparitions subites de lune dans les déchirures et les coulisses du ciel et de l’onde moirée de reflets et de trous d’ombres mobiles ; et la mise en scène au sol et au niveau de l’eau, arbre mort, touffes nageantes, paquets d’herbes à la dérive, silhouette anthropomorphe d’un saule étêté, remue-ménage dans les roseaux et les joncs, froissements de robes, cimes agitées, signes mystérieux, branches contorsionnées, froufrous de manches dans le vent, bourrasques brusques faisant gesticuler les rameaux et les ramillons et se dérouler les baguettes dont les rares feuilles pendantes, proches, tout proches, se tendaient à nous toucher le visage comme des mains humides aux doigts glacés pour nous alerter, et pour nous faire peur et pour nous tenir malgré nous sur le qui-vive au point de nous couper le souffle, le saut inattendu de quelque bête, gros rat, loutre, dans l’eau, dont nous entendions le gémissement de frayeur, la fuite précipitée dans la fange et dont nous croyions sentir sur notre face l’haleine rauque et enfiévrée d’épouvante animale. Nous rentrions souvent drôlement impressionnés par la nature, mais sans jamais perdre la boussole, justement à cause du rôle absurde que nous y tenions.»

Blaise Cendras, La Main Coupée.

Le jour est déjà bien levé quand nous atteignons le larris de Vaux. On domine la vallée. Les bras du fleuve se mêlent aux étangs, héritages des nombreuses tourbières creusées par les moines,  entretenus depuis par les pêcheurs, équipés de piège à civelles.

Nous respirons à plein poumon ce petit coin de Provence Picarde. Encore trop tôt dans la saison pour le thym. Mais nous cherchons les espèces d’orchidées endémiques du larris. Le sol est sec. Guère que des boutons d’or. Au moment où nous désespérions, à la fraîcheur de la lisière du bois, un parterre d’orchis pourpre.

Nous sommes seuls dans la «montagne». Les quelques matinaux sont les pêcheurs. Nous goûtons ce privilège.

Pour en savoir plus sur le Larris de la Montagne de Vaux