Le monde d’hier et d’aujourd’hui…
Suis-je trop pessimiste ? Quand je l’exprime, je vois que je dérange, que l’on ne voit dans mes propos qu’exagération et fatalité. Est-on dans la mème situation que celle que pressentait, puis vécut, Stefan Zweig quand il écrivit dans « Le monde d’hier » que je viens de relire pressé par les évènements de ces derniers jours :
Pour la première fois j’appris à bien observer le type éternel du révolutionnaire professionnel, qui, par son attitude de pure opposition, se sent grandi dans son insignifiance, et se cramponne aux dogmes parce qu’il ne trouve aucun point d’appui en lui-même.
J’observe à mon tour tous ces responsables politiques qui, depuis plusieurs législatures, ont systématiquement sapé, par mauvaise foi et souvent par mensonge, l’action des autres responsables politiques, préférant saper les fondations de notre cohésion, démolir les pièces du puzzle dès que posées, plutôt que d’en proposer d’autres complémentaire pour aller plus loin et plus juste. J’observe aussi tous ceux qui préfèrent dénigrer et attendre plutôt que de collaborer. J’observe ces opposants qui ont systématiquement parodié des propositions qui sont par nature complexes et imbriquées, qui ont déconstruit des paroles pertinentes et sincères en les réduisant aux l’inévitables petites phrases qui deviendraient virales ; j’observe la sordide déception – celle de ne pas avoir été l’élu — qui transforme une opposition légitime en revanche mortifère. J’observe en particulier les propos des frondeurs d’hier, et aujourd’hui de ceux1 qui brandissent la haine… et l’attisent — haine, ce mot contagieux utilisé alors quotidiennement quand Stefan Zweig écrivait ces lignes. J’observe ces opposants qui semblent ne pas comprendre que si, à leur tour, ils étaient un jour aux commandes, ils ne pourraient plus compter sur une majorité d’adhésion mais devraient seulement s’appuyer sur une majorité constitutionnelle fût-elle une coalition, et que malgré toute leur intelligence ils seraient à leur tour les cibles puis les discrédités, les prétendus coupables réduits à l’impuissance des suites de la culture politique qu’ils professent et ont professé depuis au moins une décennie — je devrais dire inculture. J’observe aussi que ce que nous traversons en France est, sous une forme particulière, l’expression de la même brutalité de parole et d’action qui s’exprime ailleurs dans le monde. J’observe et constate avec dépit que je suis aussi impuissant que l’était Stefan Zweig.
Stefan zweig qui disait encore dans « Le monde d’hier » :
Contre ma volonté, j’ai été le témoin de la plus effroyable défaite de la raison et du plus sauvage triomphe de la brutalité qu’atteste la chronique des temps ; jamais — ce n’est aucunement avec orgueil que je le consigne, mais avec honte —une génération n’est tombée comme la nôtre d’une telle élévation spirituelle dans une telle décadence morale…
Et j’espère que non. Car paradoxalement, que cette génération refuse les leaders est très temporairement une chance. Car la haine est encore diffuse ; mais les potentiels boucs émissaires, autre qu’un Président élu, ne manquent pas, peuvent être facilement désignés… et nous concerner à notre tour. Souhaitons que la raison nous protège d’un leader assassin, ou d’une association imprévisible, qui nous conduirait bien au-delà de la décadence morale, comme le fit la génération de Stefan Sweig.
Ce journal littéraire d’un soir n’aura pas d’écho. Je ne le veux que témoignage d’une inquiétude, peut-être d’une peur, celle de la veille d’un samedi potentiellement noir, mais aussi l’espoir qu’un contagieux sursaut de sagesse ne me conduise pas après-demain à citer la suite de l’ouvrage, « Le monde d’hier » redevenu « Le monde d’aujourd’hui ».