Voyage autour de ma chambre.
J’ai entrepris et exécuté un voyage de quarante-deux jours autour de ma chambre. Les observations intéressantes que j’ai faites, et le plaisir continuel que j’ai éprouvé le long du chemin, me faisaient désirer de le rendre public ; la certitude d’être utile m’y a décidé. Mon cœur éprouve une satisfaction inexprimable lorsque je pense au nombre infini de malheureux auquel j’offre une ressource assurée contre l’ennui, et un adoucissement aux maux qu’ils endurent. Le plaisir qu’on trouve à voyager dans sa chambre est à l’abri de la jalousie inquiète des hommes ; il est indépendant de la fortune.
« Voyage autour de ma chambre » de Xavier de Maistre (1794)
Xavier de Maistre : j’ai entendu son nom sur France Inter. Un écrivain voyageur, chargé de témoigner sur son confinement. Était-ce Sylvain Tesson ? Toujours est-il qu’il cita une nouvelle, Le Lépreux de la cité d’Aoste (1811) de Xavier de Maistre 1, dialogue entre un confiné et un libre promeneur, que je m’empressai de lire, avec, je dois le dire, une grande jouissance, en ma qualité de confiné qui a, pour l’instant, échappé à la « peste » actuelle du Covid. Que de paragraphes sont d’une actualité déconcertante… et d’un humour grinçant et inpertinent qui résonne fort !
Ma curiosité m’emmena donc à lire, attiré par son titre : « Voyage autour de ma chambre », écrit en 1794, au cours des quarante-deux jours d’arrêts qui lui sont infligés dans sa chambre de la citadelle de Turin pour s’être livré à un duel.
Je ne ferai pas plus de citation. Les deux premiers chapitres (chaque chapitre correspond à de cours soliloques, une pensée) sont sidérants — oui, j’ose me répéter — d’un humour grinçant et impertinent qui résonne fort aujourd’hui.
Et comme, en ce confinement, je m’occupe, entre autre, aux joies de la lecture à haute voix, je vous livre ces enregistrements. Écoutez au moins les deux premiers chapitres. Et si vous êtes séduits (comme je le fus), écoutez les (et lisez les autres, si vous le souhaitez, on les trouve sur internet, gratuitement en pdf et en ePub).
En voici deux ambassadeurs : Alphonse de Lamartine et Anatole France.
« Cet écrivain est le Sterne et le J-.J. Rousseau de la Savoie; moins affecté que le premier, moins déclamateur que le second. C’est un génie familier, un causeur du coin du feu, un grillon du foyer champêtre. …Connaître Xavier de Maistre et l’aimer, c’était la même chose. Je m’attachai à cet homme qui avait tous les agréments et tous les âges : omnis Aristippum decuit color. »
— Alphonse de Lamartine. Citation par Georges Roth. Lamartine et la Savoie. Dardel. Chambéry. 1927.
« Xavier de Maistre est humain. Il est vrai avec lui-même; il est vrai avec les autres. C’est le maître indulgent du bon Joannetti, c’est l’ami fidèle de la pauvre Rosine engraissée et vieille sur son coussin, c’est l’amant discret de l’imaginaire dame de Hautecastel. Il a le don de s’attendrir à point. Il s’égaie et pleure en même temps. Et après tout, c’est un charme encore que le sourire mouillé d’Andromaque sur le visage de la petite muse d’Aoste. Peu après la prise de Turin par les armées Austro-russes, avant de quitter cette ville, il écrivit L’Expédition nocturne autour de ma Chambre. Ce second opuscule est plus court encore que le premier. Il est d’une allure plus ferme et marque plus de maturité dans les idées. C’est un rare exemple en littérature d’une suite ajoutée à un livre sans le gâter. »
— Anatole France – Le Génie latin.