À l’imparfait de l’objectif : Robert Doisneau
J’avais déjà relaté la merveilleuse surprise qu’avait été cette visite de l’exposition Doisneau à l’hôtel de ville de Paris. A la fin de l’exposition, parmi la multitude de catalogues et beaux livres de photo qui lui été consacré, nous avons déniché un petit livre de poche publié chez Babel. Photo de couverture : un Doisneau espiègle qui vous dévisage en riant surpris que vous l’ayez trouvé dans cet étalage de grands livres.
A l’intérieur pas une photo. Du texte, imprimerie de poche un peu fade.
Sans savoir ce qui nous attendait vraiment si ce n’est cette dernière de couverture alléchante « c’est lui tout entier, sa verve, sa drôlerie, sa tendresse … »
A peine entamé on tombe sous le charme du contenu et de l’écriture.
Ce sont des petits instantanés de la vie. L’écriture est vive, pleine de métaphores. Il écrit comme il photographiait. D’un rien, d’une personne inconnue ou célèbre, il fait un personnage que l’on imagine, que l’on ressent, que l’on situe dans un lieu réel. Il ne tombe jamais dans le cliché.
Sa prose est imagée, haute en couleur, comme ses noirs et blancs sont contrastés et jouent des ombres et des lumières pour souligner une situation, un caractère, un côté anecdotique et comique ou une ambiance faite des petites tragédies de la vie.
Ce sont de tous petits récits relatants un bref souvenir : personnes rencontrés, gens célèbres qu’il a photographié, scènes de rue ou de bistrot. On les enchaîne comme un diaporama, curieux de découvrir le suivant, regrettant déjà la fin du moment de lecture matinale dans le métro et impatient de disposer de celui du soir.
La structure du récit est simple : un titre, un décor ou un contexte ; puis il capte des caractères avec une humour affectueux pour conclure enfin par une chute ironique qui renforce sa modestie.
Je cède à l’envie de vous citer un passage. Celui-ci m’a particulièrement touché car j’ai moi aussi, de Cavanna, l’image, qui surprend souvet, d’un homme tendre. Particulièrement à travers son roman « les Ritals » qui reste pour moi son livre le plus inspiré … gràce à l’amour et l’admiration qu’il portait à son père.
« Qu’il est beau, Cavanna, et photogénique en plus, ce n’est pas moi qui vait m’en plaindre.
Revenons au départ. Combien de temps pouvait-il m’accorder pour cette demi-page de magazine ? Voyons trouver le décor pour lui tirer le portrait. Une petite heure, au plus une bonne heure. En avant pour le quai de la Rapée, devant le bistrot minuscule noyé dans les tuyauteries et les cheminées. Pas mal. Le boulevard de la Gare, c’est à deux pas. Lui planté sur l’espave vert, devant un pignon peint en feuille de température. Presque bien. La mayonnaise commençait à prendre. Si j’osais, il y a porte de Gentilly, dans la rue Cacheux, un envol d’oiseaux peint sur un mur de béton indestructible, cinquante mètre de long, quinze de haut, les gens qui vivent en face sont en état de légitime défense. C’était mieux.
Le même jour, on a pu nous voir devant l’église Saint-Paul, sur la place du Chêtelet, et je ne sais plus où encore.
Quand la nuit est venue, j’avais appris qu’il suffit d’une journée pour se faire un ami d’enfance. »
Je m’en serai bien fait moi aussi des amis d’enfance !
Bon, pas de regret, nous n’avons pas le même âge, c’est trop tard. Pour vous aussi, alors n’hésitez pas, commandez tout de suite ce livre de prose « photographique ».
En lisant ces textes, vous comprendrez pourquoi Doisneau est devenu un grand photographe : curiosité, espièglerie, modestie, sens de l’instant et du global. Il ne pouvait photographier les gens qu’avec gourmandise.
Robert Doisneau, A l’imparfait de l’objectif – souvenirs et portraits, chez Babel.