Coups de foudre pour Barbara
Comme toujours excellent spectacle au Sax, notre petite salle d’Achères, intimiste à souhait grâce à sa disposition en demi-cercle comme dans un cirque, gradins raides qui tiennent les plus malchanceux des spectateurs à seulement huit rangs de la scène. Là, piano maîtrisé, tantôt effréné, tantôt distillant juste quelques notes cristallines et isolées qui ponctuent ses slams, raps ou chansons, Nicolas Seguy (plus connu comme pianiste et compositeur de Grand Corps Malade que comme interprète) a son « quartier libre » qu’il partage avec quelques invités.
Vers la fin de son spectacle, soudainement le voilà plus grave, ou plutôt un mélange de gravité et d’ironie grinçante comme le fut la vie pour celle qu’il veut nous présenter :
« L’année dernière, j’ai découvert une chanteuse. Une voix, des textes, une interprétation qui me projeta soudain devant Jacqueline Brel. Mais voilà je ne pourrais jamais l’inviter à l’un de mes spectacles… elle est morte soudainement sur scène. Alors je voudrais vous interpréter l’une de ses chansons. Une chanson d’amour telle que, je pense, seule peuvent en écrire les femmes. Les écrire, les composer et les interpréter comme Barbara le fit. D’ailleurs elle s’appelait aussi Barbara… il s’agit de Barbara Weldens !»
«… Je ne veux pas de ton amour, il me fait mal
Puisque tu m’aimes fais-moi plaisir fais toi la malle
Va-t’en regagner tes chemins de libertin
Et oublie-moi comme on oublie de faire une caresse à son chien
Je ne veux pas de ton amour je t’aime aussi
Et c’est pour ça que je refuse de faire de toi l’homme de ma vie
Tu n’es l’homme de personne
Je t’aime libre pour toujours
Je ne veux pas, je ne veux pas de ton amour !»
Passionnant texte, chantant l’amour et toute sa complexité grâce à ce paradoxal point de vue : «Je ne veux pas de ton amour».
Revenu à la maison, ce n’est ni Nicolas, ni Grand corps malade, que j’ai cherché sur Qobuz (même si je l’ai fait quand même plus tard) ; c’est Barbara Weldens.
Loin de la punk que suggère le portrait de couverture, dès «du pain pour les réveille-matin», la voix, la présence, la sensibilité nous ont immédiatement subjugué. Une interprète portée par la richesse de son écriture, la force et l’authenticité de ses textes.
Oui, nous avons effectivement ressenti une émotion, une séduction comparables à celles que me procuraient Jacques Brel ou Barbara et plus récemment Juliette ou Marie-José Vilar.
Et puisque la révolte des femmes est en pleine effervescence, je vous invite à écouter, en urgence, le remarquable «Femme», 7ème morceau de son unique album.
«Faut-il qu’à moi-même je me rappelle ?
Faut-il qu’à vous toutes je m’adresse ?
…
Tant que nous plierons sous l’amour
Tant que nos ventres souples feront autant de filles que de garçons
Tant que nous aurons la féminine sagesse de nous soumettre à nos instincts douloureux
Il y aura des femmes
Des faibles, des fortes, des rageuses, assassinées, caillassées, tondues, raillée, opprimées, révoltées
Humaines comme des Hommes
Avec un grand H
Un grand H à conquérir
La conquête du grand H de l’Homme !
C’est pas rien
Déjà pour un homme, c’est pas rien.
Ça prend une vie.
Et encore
Certains ont baissé les bras
Certains ont fait semblant
En priant leur Dieu misogyne
Ou en saluant leur drapeau impuissant.
Quelques-uns ont réussi
Je crois que quelques-unes aussi…
Je les entends parfois rire à la même table
Partager les beaux fruits de la terre
Je les entends parfois jouir dans le même lit
Partager les beaux fruits de la chair
Je les entends jouir d’être égaux devant le grand H qu’ils ont conquis ensemble
Comme des frères et des sœurs
Comme des hommes et des femmes»
Mais me direz-vous, c’est un peu cavalier d’ouvrir une rubrique sur Nicolas Seguy pour immédiatement parler d’une autre. Non je ne lui dois pas uniquement la rencontre avec celle qui aurait pu devenir une grande dame. Son spectacle était original, varié, d’une sincère convivialité partagée avec ses invités et son public, était porté par une voix simple, chaude, sans artifice. Une toute autre tonalité que celle des chansons de son invitation posthume.
Bref j’ai envie de vous faire partager aussi ceci, comme nous qui étions devenus pour un soir, l’un de ses … petits frérots.