Trois essais sur le don d’organe

Je participe depuis peu au « café littéraire » du comité d’entreprise de SAP.

Une sollicitation des mes collègues. Soirées sans prétention dans un bistrot. Un mois plus tôt on reçoit un sujet. Improvisation d’un texte, forme libre. Puis rencontre et partage. J’ai pris du plaisir la première fois. J’ai donc participé une deuxième.

Le thème du jour :

« Don d’organe ».

Et l’idée, que je découvre le soir même, de lancer sur le sujet un concours de textes, dessins et photos, sur ce thème, pour éditer un petit recueil pour la prochaine « course du cœur »

Voici donc, trois petits textes, trois petites déclinaisons sur le thème.

Rigoletto

Bonnet carmin, pointes émeraude, pompons azur.
Bouche démesurée soulignée par le masque d’or.
Lèvres tubées, cou rentré, basse continue qui ronfle, gonfle, tonne.
Gorge qui se déploie, tessiture qui s’élève d’un octave, timbre qui flûte.
Voile du palais qui vibre puis sursoit.
Langue qui claque d’un coup de glotte occlusif.
Rigoletto s’esclaffe.
Quel organe !
Pardon, quel don !

Don de soi

Sachant que le don d’organes est gratuit, il est curieux qu’on les stocke dans une banque. C’est pour cela que j’ai essayé de savoir si les organes avaient, au-delà d’une valeur fonctionnelle, une valeur monétaire.
Une rapide recherche m’a démontré que ce n’est pas si simple, ni binaire. Certains peuvent être gratuits, d’autres payants et permettent depuis longtemps de spéculer. Ceci n’avait pas échappé à Victor Hugo
« J’aime la vie, et vivre est la chose certaine,
Mais rien ne sait mourir comme les bons vivants.
Moi, je donne mon cœur, mais ma peau, je la vends ».
La légende des siècles, Le cimetière d’Eylau (1874)
La peau n’est pas la seule à être systématiquement vendue. Si l’on peut se donner corps et âme, cela n’est gratuit qu’en kit. Car il faut noter que l’on ne vend que son âme, esseulée, au diable.
Qu’est-ce qui vaut le plus cher ? La peau ou l’âme ? Pourquoi certains sont prêts à vendre leur âme au diable pour sauver leur peau ? Parce qu’on aime la vie, la chose est certaine. Parce que le don d’organe n’est ni douloureux ni engageant, étant décidé de son vivant pour n’être exécuté qu’à titre posthume. En fait, de son vivant, le plus difficile, c’est le don de soi.

Exception

Je me suis toujours senti en bonne santé. Un esprit sain dans un corps sain. Cela commençait par la tête qui restait toujours sereine, optimiste et curieuse. Puis par le ventre qui savait déguster, digérer, rester discret. Par les jambes qui me portaient infatigablement, indolores, sans varice, par monts et par vaux, de trottoirs en boulevards. Enfin je ne voudrais pas non plus oublier de remercier mes pieds qui ont toujours trouvé chaussures.
C’est un matin que tout a chaviré. Un mail, une sollicitation à parler du don d’organe. Je n’avais jamais développé le sujet puisque, miraculeusement, la loi est généreuse. Nos organes sont un bien public, automatiquement utilisables le jour où cette bonne santé décide de nous lâcher subitement. Disponibles pour un, parmi tous et chacun, car, personnellement, je n’ai jamais fait déclaration d’égoïsme.
Je me suis soudainement demandé si j’avais bien raison. J’avais déjà renoncé à l’incinération puisque ma compagne désire être enterrée près de moi et ne supporte pas l’idée d’une sépulture éternellement solitaire. Déclaration que j’avais reçue comme une preuve d’amour bien qu’elle laissa supposer que je mourrais avant elle. « Assure-toi seulement qu’ils nous mettent tête-bêche » avais-je grivoisement suggéré.
Mais ne devrais-je pas, pour cette cohabitation définitive, garantir que nos corps restent saints et entiers à défaut d’esprit saint ?
Dois-je spécifier les potentiels prélèvements d’organes ? Lesquels sont indispensables pour vivre sereinement, côte-à-côte, dans un caveau ? Quels sont nos parties premières ? Le contenu ou le contenant ?
« Je t’aime de tout mon cœur. »  « J’ai foi dans ton amour. » On voit bien que le contenu n’est jamais que métaphore.
Méta-forme est le contenant : lèvres et fesses, reins et seins, cuisses, que nous avons étreints. N’est-ce qu’à cela que l’on tient ?   
Pour toi, je donnerai donc tout, sauf cela.