Les méditations de Nicolas Repac (2)
Soirée au Sax. Double enthousiasme. Découvrir les nouvelles « Méditations de Nicolas Repac » conçues et interprétées avec son ami Arthur H. Proximité et convivialité des tables de bistro installées au pied de la scène. Petite déception quand même. Nous sommes, ce mardi soir, moins d’une centaine à profiter de ce spectacle unique, éphémère. Un temps librement abandonné à la musique et à la poésie. Déception, et paradoxalement plaisir égoïste de profiter d’une soirée intime. Tant pis pour ceux qui ignorent ou dédaignent ses délicieuses cartes blanches que Le Sax offre à des artistes.
Même décorum. La scène, une collection d’instruments bizarres disposés autour de Nicolas Repac, le piano à queue que Patrick Goraguer partagera avec Arthur H et l’écran qui s’anime sous les improvisations vidéastes (et inspirées) de Julien Appert.
Arthur H a rapidement rejoint ses compères d’un soir et commencé, après avoir repris quelques unes de ses anciennes chansons, « Cool jazz, c’est le cool jazz qui [me] donne des frissons ; Cool jazz, c’est le cool jazz et des appréhensions…« , par une longue lecture de quelques Feuillets de René Char 1 Les aphorismes s’enchainent — « Conduire le réel et l’action comme une fleur glissée à la bouche acide des petits enfants. Connaissance ineffable du diamant désespéré (la vie) » — les fragments poétiques — « J’ai, ce matin, suivi des yeux Florence qui retournait au Moulin de Calavon. Le sentier volait autour d’elle : un parterre de souris se chamaillant !... — ou les témoignages cruellement humains — « Horrible journée ! J’ai assisté, distant de quelques cents mètres, à l’exécution de B. […] Je n’ai pas donné le signal parce que ce village devait être épargné à tout prix. Qu’est-ce qu’un village ? Un village pareil à un autre ? Peut-Être l’a-t-il su, lui à cet instant ? » — une sélection de « ces notes qui n’empruntent rien à l’amour de soi, à la nouvelle, à la maxime ou au roman ». La voix sobre d’Arthur H, presque monocorde, ne surjoue pas de la poésie ou du tragique, la composition musicale de Nicolas Repac est parfaite. En feront-ils un disque ? Je l’espère2 !
Puis peu après, un inédit. Juste pour nous. La lecture d’un chapitre du recueil de nouvelles d’Arthur H sur une composition originale, toute fraîche, de Nicolas Repac. Une étrange fugue — ce sera un recueil de trois « Fugues 3 « , celle de la mère d’Arthur, Nicole, en 1958 ; comme celle de Bach ! — la fugue que fit le jeune Arthur adolescent lors d’un voyage aux Antilles, plaquant Jacques, son père, pour quelques semaines, sans donner de nouvelles. Un texte plein d’amour et d’humour, d’autodérision, traversant des univers émotionnels et physiques merveilleusement évoqués par la guitare, les divers instruments et les percussions de Nicolas Repac et Patrick Goraguer.
Vous êtes prévenus. La prochaine soirée des Méditations sonores de Nicolas Repac, qui sera dédiée à l’Afrique, est le 19 mars. On veut bien partager cette intimité, ravaler notre égoïsme. C’est extraordinaire ! Venez !
- Les Feuillets d’Hypnos de René Char ont été écrits entre 1943 et 1944 – lorsque le poète était engagé dans la Résistance sous le nom de Capitaine Alexandre – ils ne furent publiés qu’à la fin de la guerre, en 1946.
- En tout cas, je me suis empressé de les lire, d’essayer de me remettre dans le contexte ; certains d’entre-eux, très concrets, cruels, vous y plongent fatidiquement ; ceux que j’ai cités ici n’étaient peut-être pas dans la sélection d’Arthur, mais je (me) suis persuadé que si.
- Un livre à paraître en 2019 au Mercure de France, dans la collection Traits et Portraits dirigée par Colette Fellous