Les mouches

Imaginez… un monde sans mouche. C’est peut-être ce qui me fera supporter, dès après demain, la foule de Paris et de la Défense.
Pourtant, ici ce serait presque un monde idéal. Peu de voitures, jamais d’embouteillage, à part un peu de confusion dans les quelques rues adjacentes du marché. Jamais de foule. Le monde se repartit dans la multitude de petites boutiques, se presse peut-être à la grande prière du vendredi, mais nous n’y sommes pas pour voir. Quelques groupes chamarrés se promènent au bord de la falaise et dans les rues des petites maisons de Cansado.
Mais il existe deux multitudes.
L’une, invisible, est sous l’eau. La multitude de poissons (dorades, bars, sardines, petits requins, thons, thiofs, mérous et j’en passe …) attire quelques gros bateaux prédateurs français, russes et espagnols qui croisent au large et à l’horizon, la nuit, forment une guirlande. Elle pousse vers le large les barques de la pêche artisanale. De cette pêche nous en tirons la qualité et la fraîcheur de notre nourriture.
Mais c’est aussi la nourriture de l’autre multitude. Les mouches profitent des restes du marché, des ordures que jettent sauvagement, quelque part dans le désert les trois ou quatre conserveries de Nouadhibou. Elles sont là dès le début du jour.
Le bataillon ce sont les mouches vertes, d’un vert bleu métallique que l’on pourrait presque trouver agréable si elles n’étaient pas aussi nombreuses. Elles arrivent comme un essaim, se posent sur les arbres, sur les quelques fleurs, sur les restes d’un repas, tentent de manger votre plat, ne reculent devant rien et se laissent écraser tant elles sont occupées à butiner, à vous butiner.
Il y a aussi les escouades. Ce sont de petites mouches noires. Autant les unes sont lourdes, pataudes, autant celles-ci sont vives, rapides, sournoises, individuelles. Elles sont irritantes car elles mordent. Et impudiques ! Sans vergogne, lorsque l’une est posée sur la table, sur l’écran, un ou une compère arrive fait une sorte de saut périlleux et s’accouple sauvagement. Même distraites elles sont impossibles à attraper. Jamais la gifle de mon turban ne les atteint. Elles s’envolent et vont copuler ailleurs. Ce sont aussi celles qui profitent de notre sommeil pour prendre notre peau pour une plage.
Nous devenons « mouchophobes ». La révolte est parfois proche de la crise de nerf. Au bureau
elles sont amassées sur la moustiquaire de notre fenêtre. On dirait un aquarium. Dès que la porte s’ouvre, elles s’engouffrent et la chasse commence. Chasse traditionnelle à coup de turban Guerre chimique quand je profite du moment où elles se posent sur la moustiquaire pour les flytoxer, jet dirigé vers l’extérieur de la pièce. Ca les colle sur le tissu et j’en tire une énorme et méchante satisfaction en les regardant agoniser.
Nos journées sont séquencées par des séances de chasse. Nous avons renoncé à manger, le midi, sur la terrasse. Nous avons parfois déguerpi du bureau pour travailler dans notre studio qui jusqu’à aujourd’hui semblait être un havre de paix, sans mouche ou si peu. Et même, lors d’une excursion au Cap Blanc, il a fallu se réfugier dans la voiture pour déguster un appétissant et odorant Tiep-bou-dienn.
Mais aujourd’hui …., à l’heure de la grande prière, juste après le chant du Mezzouin, elles nous ont rattrapés.
Heureusement, il n’y a pas de moustiques.