Grand format : Contrastes… de Casablanca à Ifrane

Grand format. Chronique de voyage. Du 22 au 30 avril 2018. Casablanca, Rabat, El Jadida, Fes, Ifrane.

Laissez le temps à la page de se charger. Nous avons décidé d’intégrer sous forme de diaporamas les photographies de voyage. Chaque séquence de diaporama peut être lancée en pleine page (laissant apparaître les légendes) par la petite icône située en bas à droite du film puis refermée par la croix située en haut à droite de l’écran.


Dimanche 22 avril.

Chantier casablancais

C’est un immense chantier que l’on découvre sous une lumière que je qualifierais de méditerranéenne bien que nous soyons au bord de l’Atlantique. Je ne pense pas que l’on puisse généraliser et la dire maritime car légèrement bleutée, diaphane, elle est différente de celle des plages bretonnes où, par beau temps, la luminosité est plus métallique. L’aéroport Mohamed V qui finit de doubler de surface, passerelles flambant neuves prêtes à digérer les passagers, s’est aligné sur les normes internationales comme le prouve ce court dialogue avec le policier au contrôle des frontières :  » Êtes-vous déjà venu au Maroc ? — Oui. Il y a quelques années, mais je ne sais plus quand exactement ; cinq ou six ans ? — Il y a 10 ans, c’était le 8 mars 2008 ! C’est dans le fichier, vous voyez ! » Big Data, vous nous surveillez partout et de partout, et serez notre mémoire !
Après une bonne heure dans le train de banlieue qui traverse lentement une plaine agricole, longe quelques parcs où, par ce beau dimanche de printemps, pique-niquent où se baladent quelques familles, qui se glisse entre cimenteries, usines chimiques, quais et docks, et pour finir rampe le long de murs de bougainvilliers rouges et roses, nous arrivons dans la très contemporaine, splendide et aérienne gare de Casa Port, complètement isolée aux milieux de travaux gigantesques.

Bienvenue dans les grands chantiers du Maroc moderne de Mohamed VI semble dire fièrement et didactiquement les palissades que nous longeons. C’est dimanche soir. Tout est calme dans ce champ de ruines, de squelettes d’immeubles en démolition, de parkings temporaires que domine notre appartement et nous sépare du port et de ses grues — nous ne subirons marteaux-piqueurs, moteurs et klaxons de recul que le lendemain dès six heures.

Lundi 23 avril

Café de France et tramway.

Café de France. La seule critique que j’avais lue parlait de sa terrasse bruyante, polluée par la circulation infernale, mais aussi de ses excellents petits-déjeuners : jus d’oranges pressées — ces jus que l’on ne trouve si parfumés et si sucrés que dans les pays producteurs où les oranges mûrissent sur l’arbre et ne sont pas astiquées — ; thé à la menthe — qu’il faut demander non sucré (le sucre à côté s’il vous plaît — ; msemmen au fromage blanc, miel et thym ; ou encore les crêpes au miel, roulées et coupées en tranches. Rue piétonne réservée au tram, un havre sans voiture pour un café-terrasse à l’ancienne et ses serveurs stylés mais cordiaux et chaleureux, nombreux car au Maroc on ne lésine pas sur la main d’œuvre. Peu payée ? Sous payée ? Le sempiternel débat sur l’emploi et le sous-emploi (dont nous reparlerons plus loin avec un chauffeur de taxi) puisque les «petits boulots», cireurs de chaussures, gardiens d’immeuble, pompistes, placeurs et gardiens de parking… n’ont pas été remplacés par des inactifs au RSA, par des caisses automatiques ou des parcmètres.

Dans la salle, comme sur la terrasse, pas de déjeuner en face à face mais côte à côte car tous les sièges sont disposés face à la rue, un théâtre qui ne fait jamais relâche. Les hommes, d’âge mûr pour la plupart, s’y attablent absorbés par le perpétuel passage des piétons. Pas pour mâter les filles puisque la plupart portent pantalons ou longues jupes, foulards, gorge cachée, et ne traînent pas en route. À 8h00, heure de l’embauche, contrairement au genre annoncé par le Larousse, le trottoir est féminin et la terrasse masculine.

Notre pôle d’intérêt fut le tramway tout neuf, rames d’Alstom identiques à celles de Bordeaux ou de Lyon. Une révolution, dans une ville engorgée matin midi et soir, au réseau de bus vieillissant et à la multitude des taxis, qui peine malgré son confort et sa fluidité à trouver une clientèle. Dacia a encore de beaux jours devant elle.

Et, grâce à la publicité — que nous décrions d’habitude — affichée sur des rames, toutes différentes,  nous contemplions, avec la gent masculine en terrasse, les matérielles préoccupations contemporaines : smartphones, abonnement à la fibre,  4G… et footballeurs des Lions de l’Atlas. Premier contraste, ce tram partageant sa voie avec quelques charrettes à bras, parfois tirées par un splendide cheval ou un âne pouilleux.

Traverser, la sinécure.

Tram 1, flambant neuf et confortable. Le cousin de ceux qui ont refaçonné d’autres villes et tentent de décongestionner leurs centres. Tram 1, la première des quatre lignes qui doivent traverser la ville, volonté politique de discipliner une automobile envahissante, polluante et agressive.

Révoltez-vous piétons et piétonnes ! Deux clans paritaires : d’un côté les conducteurs et conductrices de modestes ou luxueuses berlines accaparent la chaussée, fonçant dans chaque interstice, tachant d’y compresser le temps congestionné ; de l’autre les piétonnes et les piétons qui tentent de traverser et d’en survivre. Regards de colère réciproque bien que, dans la même journée chacun et chacune puisse changer inconsciemment de rôle, l’oppresseur devenant à son tour l’oppressé.

Le Tram  propre et discipliné ; nous n’avons vu personne sauter les portillons ou poser ses pieds sur les sièges ; nous demandons au distributeur automatique deux trajets puisque que nous ne ferons que l’aller ; mais ne s’imprime qu’un seul titre de transport, aller-retour, que le portillon refuse de digérer deux fois de suite. Nous nous adressons à un employé salvateur. Tentative d’explication puis de négociation mais, d’un air contrit autant qu’autoritaire, il nous adjoint de retourner acheter un deuxième titre pour un aller et ne libère pas le portillon ; vérifie bien, deux minutes plus tard, que nous avons respecté les consignes. Le règlement, c’est le règlement.

Mardi 24 avril

Casa Anfa

Nous longeons la riche avenue Hassan ll, puis les classiques quartiers de l’hôpital où la ville ressemble à toutes les villes occidentales. Le tram s’engage dans un no-man land’s, la plaine de l’ancien aéroport de Casa Anfa. Big Bang ! De partout poussent des immeubles, des tours. Formes futuristes oblongues, géométries radicales, affichage d’un développement durable sous forme de façades végétalisées, de plantations de palmier. Sur quelques kilomètres surgit une ville moderne. Qu’en penser ? Reproduit-on nos erreurs de concentration urbaine — cités des trente glorieuses dans ce pays qui est à son tour en fort développement démographique et économique — les panneaux publicitaires annoncent Assises de l’université, Congrès International des Smart-Cities, Programme National de Numérisation — ou est-ce que la conjonction de transports propres et rapides, la mixité verticale des bureaux et des logements sont vraiment la voie du futur ? Casablanca, où tout se transforme, où les quartiers  sont démolis pour mieux renaître, semble avoir choisi cette voie. Il faudra revenir dans quelques années pour constater la renaissance qui devrait naître de ce travail de Titan.

Ain-Diab et la Corniche

Ain-Diab Terminus. Autre chantier : appartements et villas balnéaires ; autre aspect du développement. Tourisme ? «Silver economie», l’économie des seniors ? Investisseur local ou occidental en recherche de «low cost» ? Autochtones, Russes ou Chinois ? Fin avril, c ‘est presque désert ; nous ne rencontrerons que quelques marcheurs (est-ce, comme en Espagne, la promenade du cholestérol ?), un petit groupe de surfeurs débutants, quelques pécheurs à la ligne et de rares romantiques amoureux enlacés face à la mer. Mais toujours, ceci expliquant cela, un immense chantier d’aménagement du boulevard maritime rendant la plage presque inaccessible. Les pelleteuses, foreuses, toupies s’affairent. On sent une urgence. Celle de terminer tout cela avant l’été. Promesse des panneaux décrivant les travaux programmés d’automne 2017 à l’été 2018. Reconnaissons-le, ils semblent proche de réussir, les palmiers sont plantés à la chaîne.

Mais Aïn-Diab est surtout la frontière entre deux mondes. Paradoxalement vers l’Est, boulevard de la Corniche, l’efficacité libérale : restaurants, terrasses, piscines et plages artificielles, tout un univers sur pilotis et ses voituriers pour limousines noires, cabriolets colorés, coupés aux chevaux ailés, étoiles ou anneaux ; vers l’ouest, boulevard de l’atlantique, passée la barrière du chantier, le monde ouvert de la plage. Trois kilomètres de petit business, chaises et parasols clairsemés — rien à voir avec l’optimisation des transats de la Côte-d’Azur — bouteilles d’eau, réchauds à gaz et théières. Deux mondes qui s’ignorent de chaque côté du terminus.

Mausolée et Marocco Mall

Nous avions en point de mire, dans une courbe de la plage, un pont, une île surmonté d’un hameau blanc. L’îlot de Sidi Abderrahmane Tout y est calme. Les ruelles, blanchies à la chaux, et les maisonnettes, avec leurs volets peints en bleu, ont le charme des citadelles maritimes. Le lieu est reposant. Les courettes et les entrées, havres d’ombre, sont propres. Nous ne prenons pas de photos car cela est interdit pour la tranquillité des habitants, les maisonnettes, souvent une pièce, ayant été allouées à des familles pauvres. Sur le pont, seulement deux “chouwafates”, diseuses de bonne aventure, nous, et trois promeneuses qui nous expliquent que peu avant le ramadan, les visiteurs s’y bousculent. L’îlot abrite la tombe d’un marabout, Sidi Abderrahmane, qui, selon la légende, avait le pouvoir de marcher sur l’eau et était d’une bonté exceptionnelle, rassurant. Depuis le lieu est censé accomplir des miracles et les chouwafates, réalité ou sens du commerce, n’y prédisent jamais le malheur.

De l’îlot, nous sommes intrigués par un dôme blanc. Cinq, minutes plus tard, sous les rondes publicités  des big-macs et d’un Imax, nous débarquons dans un autre lieu de culte. La fraîcheur climatisée du temple de la consommation.

« Découvrez le premier Mall de « Retailtainment » d’Afrique et de la Région… Véritable destination tant pour les nationaux que pour les touristes ou visiteurs de passage, le Morocco Mall… a changé de manière positive et durable le paysage de Casablanca et du Maroc, et les habitudes de consommation dans la région. » chante son site web

Le Marocco Mall, ouvert en 2011, où cohabite un gigantesque aquarium — «qui est prisonnier derrière les vitres, pensent les poissons —, les vitrines des boutiques de marque, une réplique de souk enfermé,  et une mosquée. Nike y expose des hijabs de sport. Que retenir de l’occident libéral ? Le consumérisme ou le féminisme ?

Mardi 24 et vendredi 27 avril

Les ports.

Ports de pêche de Casablanca et d’El-Jadida, nous regroupons nos commentaires. Barques colorées, petits chalutiers, pêcheurs indifférents qui vaquent et ramendent leurs filets sur les bateaux, sous la halle quasi désertée bien que nous y soyons le matin, leurs collègues accueillants qui vantent la fraîcheur colorée et les assortiments calibrée aux deux potentiels acheteurs (qui les déçoivent aussitôt), hangars frigorifiés, possibles entreprises de retraitement qui semblent en sommeil, il ressort de tout cela une impression d’artisanat qui nous interpelle, bien loin de l’idée que la pêche est la première industrie du Maroc et de ses 3 600 kilomètres de côtes. Compris en consultant, bien plus tard, Wikipedia. Nous ne sommes que dans un des quelque 150 sites de pêche, face à quelques-uns des 2 000 bateaux artisanaux et 20 000 barques. Une activité distribuée, peu lucrative, en difficulté car la richesse pélagique baisse tous les ans. La faute à qui ? Au même moment la Communauté Européenne renégociait ses droits de pêche hauturière. 52 millions d’euros seulement sur les 600 millions que représente cette industrie pour le Maroc.

Jeudi 26 avril

Rabat, la royale.

 

Voyage en train vers Rabat. Train confortable, des cadres qui partent pour la journée entre Casablanca l’industrieuse et Rabat l’administrative. J’essaye de lire tout en regardant le paysage, mais je suis distrait, plutôt indiscret, car j’écoute les commentaires de deux jeunes qui regardent en replay sur leur téléphone un reportage de la télévision française, les confessions de François Hollande sur la fin de son quinquennat, le succès d’Emmanuel Macron. Incroyable comme, ici, l’actualité française est suivie et commentée. Le cordon n’a jamais été coupé et la diaspora innombrable. Chaque personne rencontrée a au moins un enfant, un frère ou une sœur en France. Nous nous sentons parfois moins français que certains.

Arrivée à Rabat que nous avons visité rapidement accompagnés de nos amis avant d’aller déjeuner avec leur mère dans la maison familiale. Après Casablanca, le changement d’ambiance est saisissant : larges avenues,  circulation plutôt fluide, passages piétons où nous ne nous sommes pas sentis agressés. Capitale aux allures de ville de province. Un peu la même impression que lorsque l’on passe brutalement de New-York à Washington.

Mausolée Mohamed V

C’est sûrement une visite que nous n’avions pas assez préparée. Mohamed V, nous en savons peu de chose : ancien sultan devenu pacifiquement le premier roi du Maroc lors de son indépendance en 1956. Des gardes à cheval, une immense esplanade, un mausolée tout en sculptures arabes, marbre, stuc, cèdre du Liban. Mais au-delà du décorum, les nombreux visiteurs autochtones sont recueillis, respectueux. Nous comprenons alors que pour les marocains Mohamed V est aussi important que l’est pour nous Charles de Gaulle ou Thomas Jefferson pour les Américains — Le Maroc fut d’ailleurs paraît-il le premier à reconnaître les États-Unis d’Amérique. Occasion donc, rentrés dans notre appartement, de revenir un peu sur l’indépendance marocaine.
1927, le Sultan meurt, le protectorat français choisit un de ses fils Muhammad Ben Youssef en le pensant accommodant. Se construit alors une « trahison » diplomatiquement adroite et pacifique. Soutien modéré des nationalistes, réconciliation des Berbères et des Arabes que les colons divisaient, résistance au gouvernement de Vichy dont le refus de déporter les juifs marocains, soutien des alliés — Roosevelt l’encouragera ensuite dans ses désirs d’indépendance — confiance de De Gaulle qui le recevra officiellement en France dès 1946 et impact du superbe discours de Tanger en 1947 où il sait s’appuyer sur la Ligue Arabe et affirmer le besoin d’indépendance du Maroc en prenant comme modèle la France des libertés. «… Le Maroc a pris une part active dans la dernière guerre par ses fils… Le Maroc désire ardemment acquérir ses droits entiers… Jetez un regard sur le monde civilisé, inspirez-vous de ses sciences et suivez la voie déjà tracée par des hommes qui ont formé une civilisation moderne en faisant appel aux savants et aux techniques des pays amis et en particulier aux Français épris de cette liberté qui a conquis le pays vers la prospérité et le progrès.» Les Français essayent de retourner les Berbères contre lui, sans succès. Ils l’exilent alors en Corse puis à Madagascar. Mais d’incidents en rébellions mal maîtrisés au Maroc, la France rappelle le Sultan qui négocie rapidement en 1956 un traité d’accès à l’indépendance. En 1957 né le Royaume… de Mohamed V. Bien sûr, au-delà de cette épique histoire, comme toujours, restent des faces sombres : révoltes matées dans le Rif, abandon de la réforme agraire… Raison de plus pour s’intéresser à l’histoire du Maroc, sa complexité et la fierté de son peuple.

Kasbah des Oudayas. Nécropole des Méridines.

Ruelles blanches aux soubassements lapis-lazuli de la Kasbah, oasis de fraîcheur et claquement des becs de cigognes de la Nécropole de Chellah. Youssef et Wafaa ravis de nous servir de guide dans des quartiers de leur enfance pittoresques et plus encore.

Commençons par le Chellah pour replonger au XIIIe siècle quand les Méridines y construisent leur nécropole. Méridines qui s’affranchissent localement des Almohades, puis alliés à eux conquirent El Andalous (l’Andalousie), et défendent le royaume de Grenade. Tout cela résonne dans nos têtes, nous rappelle nos voyages en Espagne et notre admiration pour ces arts arabes et chrétiens qui s’influencent (art mozarabe dans le sud et modejar dans le nord)
Puis, petite histoire dans la grande histoire, bond en avant puisque trois siècles plus tard, pendant 6 ans de 1641 à 1647, la Kasbah des Oudayas fut  la forteresse de la République de Salé, dominant le port et l’estuaire du Bouregreg. République de Salé ? En royaume marocain  ? République de corsaires, de pirates maures. Descendants de ceux qui avaient été refoulés d’Andalousie par les Espagnols. Ceux qui avaient fait prisonnier Robinson Crusoé. Cela vous dit maintenant quelque chose ? Non, car on a oublié le début de l’histoire occulté par Vendredi. S’y replonger ? Les voyages servent aussi à cela.

Vendredi 27 avril

Mosquée Hassan II et Petit-Taxi

Nous l’avons vue deux fois. De l’extérieur, sur son esplanade, le soir en rentrant, plutôt exténués après un longue randonnée urbaine débutée le matin. Puis l’intérieur, quatre jours plus tard, envahi de touristes groupés autour de leurs guides, qui « japonisent » dixit notre guide (e.g : passer plus de temps à selfiser qu’à regarder et écouter), guide que nous avons en exclusivité car nous sommes les seuls français présents à l’ouverture. Histoire, architecture, prouesses techniques, finances, humour facétieux : visite parfaite.

Comme tous les touristes nous en ressortons séduits par cette œuvre, comme on l’est dans tous les grands sites architecturaux du monde que des milliers d’artisans ont polis.  Mais ce sont les commentaires moins positifs du chauffeur de taxi qui nous conduisit à la gare, un « trop beau » qui en dit long, qui interpellent. Les voici sous forme d’un dialogue, retranscrit presque intégralement. Comme cela prend de la place, si vous êtes curieux, cliquez ici

El Jadida

Nous y sommes allés en train puisque nous avions décidé de voyager à pied ou en transport en commun. Une manière de plus de s’imprégner d’un pays dans sa quotidienneté. Voyage calme, passagers cette fois plus divers que les cadres faisant la navette Casablanca-Rabat.

El Jadida.  Nous avons déjà parlé du port. Parlons donc du fort.

Le fort du 16e construit par les Portugais, ses ruelles, ses remparts, est une longue et belle promenade. Nous devions y être à l’heure de sortie du collège car l’ambiance était jeune, vivante, spontanée. Mais le lieu de séduction, d’étrangeté, à garder pour la fin, c’est la Citerne Portugaise. Une vaste salle souterraine voutée, aux six nefs et 25 colonnes (pb : pourquoi 25 qui n’est pas un multiple de 6 ?), qui fut utilisée comme citerne d’eau. Le charme fou de la lumière et des reflets qui a séduit plusieurs cinéastes. Nous l’aurions vu dans Harem d’Arthur Joffé, mais j’avoue n’en avoir aucun souvenir.

Samedi 28 avril

Voyage dans la couleur verte.

Nous voici partis pour Ifrane et son université que nous voulions visiter depuis longtemps tant Youssef nous avait parlé longuement de ses études heureuses, du dynamisme de l’université « à l’américaine » dont  il avait intégré la première promotion. Voyage en voiture avec nos amis. Nous montons vers le Moyen Atlas.  En ce mois d’avril c’est un Maroc vert comme son étoile que nous découvrons. Étrange pour Chantal qui avait publié « Voyage dans la couleur verte, un itinéraire en Picardie » de pouvoir paradoxalement titrer à nouveau : Voyage dans la couleur verte, un itinéraire au Maroc.
Ce n’est pas,un miracle. Le printemps 2018 est humide. Les pluviosités de mars et avril (et aussi celle de mai à venir) ont été le triple de la normale.

Moulay Driss Zerhoun

C’était jour de marché. Difficile de se frayer une route jusqu’au centre du village dans les rues étroites. J’aurai déjà renoncé mais Driss, un ami de Youssef qui nous accompagne, a l’habitude de cette pression de la foule, de se laisser guider par le gardien de parking (Inch Alhah). Driss nous amène donc chez Idriss, Moulay Driss Zerhoun, Idriss 1er mort en 791, fondateur de la ville de Fès où nous partons et surtout du royaume Idrisside considéré comme l’origine de l’État Marocain et surtout de l’islamisation du Maroc. Lieu de pèlerinage ou de nationalisme, nous ne saurons pas. Les deux peut-être. Les gens se pressent vers la mosquée et son mausolée. Infidèles, nous sommes contraints d’attendre nos amis dehors.
Mais le plus intéressant de cette histoire et d’avoir enfin compris pourquoi nous ne pouvons plus visiter les lieux saints du Maroc. Sourates ou décisions politiques ? La version qui domine est que c’est une décision… occidentale jamais abrogée depuis, sauf quelques exceptions comme la Mosquée Hassan II de Casablanca. Décision d’Hubert Lyautey, le futur Maréchal, nommé en 1912 le premier « Résidant Général de France au Maroc », chef du Protectorat qui, s’il laisse théoriquement la souveraineté au Sultan, lui confisque l’initiative des lois et aussi, rien que cela, le maintien de l’ordre, la défense, les finances et les relations extérieures. Maintien de l’ordre ? Il faut protéger les mosquées qui sont souvent dégradées, croyants molestés, par les colons. Lyautey interdit aux no musulmans l’accès aux moquées et mausolées marocains. Quant à Lyautey qui façonnera durablement le Maroc, Driss, incollable sur l’histoire de son pays, m’en raconte beaucoup dans la voiture, mais cela, c’est une autre histoire.

Volubilis

Volubilis, retour aux origines, ville antique berbère, romanisée, capitale du royaume de Maurétanie (rien à voir avec la Mauritanie où nous avons séjourné deux ans et avons fait connaissance de Youssef). Volubilis, ville antique et fleur — de Walili en berbère, nom de la fleur du liseron.
Le site, un terrain pour tous les goûts. Acropole, escaliers, pour que les enfants s’ébattent ; l’Histoire pour les adultes et touristes que nous sommes.
Le site construit au IIe et IIIe siècles av. J.C. est splendide, majestueusement lové dans la plaine, dominé par Moulay Driss Zerhoun. Pourquoi s’est-il développé ? Pourquoi des riches cultivateurs d’oliviers et des praticiens y ont construit de magnifiques villas dont on admire aujourd’hui les mosaïques ? Est-ce grâce à la Pax Romana ? Car Volubilis, réputé indéfendable, fut rapidement oublié, la vie se calfeutrant alors sur les hauteurs de Moulay Driss Zerhoun. Encore une histoire à découvrir, peut-être aussi épique que ces scènes de la mythologie, comme les sept travaux d’Hercule, superbement stylisés sur une des gigantesques mosaïques.

Dimanche 29 avril

Fès

Après une soirée mouvementée (deux heures de mauvaise foi, de colère et de négociation pour une histoire de surbooking d’hôtel qui sans l’endurance de Youssef nous aurait sûrement fait dormir dans les voitures), nous avons visité la Médina de Fès. Une ambiance pour une mise en bouche et une envie de revenir, car ce fut trop rapide. Survol des tanneries. Visite express d’une médersa (université coranique). Mais à noter, avec satisfaction, que par rapport à nos premiers voyages au Maroc, nous n’avons subi ni la mendicité ni le commerce agressif. Subir, ne jugez pas négativement ce mot, mais, je dois le reconnaître, notre impuissance, ne pas pouvoir donner à tout le monde et ne pas pouvoir acheter à tous, devenait rapidement une souffrance plus qu’un dérangement dont je garde un mauvais souvenir. C’est aujourd’hui policé, c’est le bon mot, par la Police Touristique, invisible. Mais le résultat est là. Perte de typicité ? Je ne pense pas, en tout cas je ne la regrette pas.

Lundi 30 avril

Ifrane

La petite Suisse

Ifrane, la petite Suisse Marocaine. Au cœur du Moyen Atlas, dans des collines irriguées de sources et de ruisseaux, sa source « Vittel », fraîche par ses grottes naturelles et son lac, son parc national qui abrite la plus grande cédraie du Monde, son altitude de 1 650 mètres, son enneigement en hiver — on y pratique le ski , est devenue rapidement une ville d’eau, une ville d’estivage disaient les colons, l’intelligentsia et la noblesse marocaines. Le Roi y a d’ailleurs une résidence. Ville d’estivage, donc construite dans un pur style montagnard de chalets. Ville estivale, étrangement propre — cela saute aux yeux ; elle a été classée deuxième ville plus propre du monde en 2013 — que domine un superbe palace, le Michlifen.

L’Université Al Akhawayn

Deux buts dans notre voyage. Passer une semaine avec Youssef, Ilham et leurs deux enfants Jad et Kenza qui avaient insisté, lors d’un voyage à Paris, pour que ce tonton et cette tatie improvisés viennent les voir. Vacances de Pâques pour les enfants. Chose promise, chose due. Mais aussi pour visiter l’université de Youssef, donner réalité à ce complexe, perdu en montagne, construit de toute pièce pour créer une université à l’américaine, enseignement anglophone, professeurs importés des meilleures universités anglophones.

Al Akhawayn University, littéralement l’«université des deux frères», fondée en 1993, inaugurée en 1995. Fruit d’une étrange opportunité : un pétrolier saoudien fait naufrage au large du Maroc. Une marée noire menace. L’Arabie Saoudite promet plusieurs milliards de réparation. Les vents tournent. La marée s’éloigne. Que faire de l’argent promis que l’honneur interdit de restituer. Les deux rois (les deux frères) se rencontrent et décident de l’utiliser pour créer une université exemplaire ; humanités et sciences sociales, sciences et ingénierie, business et administration sont au programme.

Youssef, qui vient d’avoir son bac, fait le pari. Plutôt que de partir dans une grande école parisienne, comme ses prédécesseurs, il insiste et convainc son père de faire partie de la première promotion.

Il y revient souvent, amène des visiteurs comme nous, communique son enthousiasme. 2500 étudiants  et étudiantes pour 175 professeurs. Enseignement en anglais principalement, seuls quelques matières sont professées en français et en arabe. Dans un cadre superbe, un campus aux bâtiments conviviaux, sortes de chalets pointus. Amphithéâtre, bibliothèque, salles de cours équipées dernier cri, restaurant, logements, gymnase, piscine et bien sûr au point central, une mosquée.

Un autre Maroc, bien loin des idées reçues et des sites touristiques.

Retour en train

Ce fut un défilé kaléidoscopique, photophone collé à la vitre du train, que nous avons déjà présenté sur ce site dans cet article, « Défilement, de Meknès à Casablanca » :