Turquie, si proche de nous
Si je devais faire un résumé de cette semaine passée à Istanbul et dans sa région, c’est ainsi que je dirais : Turquie, si proche de nous.
Ce n’est pas un voyage touristique qui m’a emmené là-bas. Une semaine dense plongée dans le milieu industriel Turc. D’abord le bureau et mes collègues de l’agence à Istanbul. Ensuite les sites industriels automobiles de Daimler Chrysler, Renault, Ford, Autokar, Autoyoll… Deux rendez-vous par jour, des réunions de deux à 20 personnes.
Je ne savais pas trop en atterrissant ce que j’allais trouver : pays en voie de
développement ou modernité, laïcité ou intégrisme, caste ou égalité des
chances, machisme ou féminité. Je partais avec quelques a priori négatifs dus à la lecture de quelques articles sur la condition de la femme, le retour des islamistes modérés au pouvoir, la campagne de refus dans l’Europe menée par de nombreux politiciens français, la description des pratiques policières…
On arrive dans un aéroport moderne. Dehors la meute de taxis jaunes, des véhicules simples (kangoo ou équivalents), un parc de véhicules récents de milieu de gamme.
Ensuite, à train d’enfer (conduite normale d’un chauffeur de taxi dans beaucoup de pays latins), une longue traversée de zones industrielles tout aussi « industrielles » que celles de chez nous avant de rentrer dans les
rues encombrées d’Istanbul. Il faisait beau. La première impression fut celle de la foule et de la pollution. L’air trouble, les lointains voilés, le niveau sonore de la ville.
Ce qui est surprenant, pesant, dès le premier soir, confirmé le lendemain par l’arrivée au bureau, se sont les mesures de sécurité. Grilles à l’extérieur des locaux. Poste de garde. Gardien qui, muni d’une glace au bout d’une perche, inspecte le dessous du véhicule. Collègue qui avec un détecteur d’explosif inspecte la malle. Sas de sécurité muni d’un portique et d’un tunnel d’inspection des bagages. Dans les locaux, une fois passé le contrôle, la vie redevient normale. Il reste cependant une impression de malaise, d’oppression, celle, en plus intense, que j’ai chaque fois que je croise une patrouille militaire armée dans le métro, plan vigie pirate oblige.
Je suis arrivé à l’hôtel Conrad alors que se terminait une soirée. Hommes et femmes élégants. Hommes sveltes pour la plupart au type européen du sud. Femmes offertes aux regards, brunes aux yeux souvent clairs, bras nus, gorges dégagées, robes longues moulantes fendues parfois jusqu’à mi-cuisse. Rien de la femme musulmane que l’on dérobe au regard.
Le lendemain au bureau, un espace ouvert identique à ceux que nous avons en France. Un équilibre hommes et femmes (dans toutes les réunions avec mes prospects les femmes seront présentes et parfois à des postes de direction). Tenues vestimentaires plutôt strictes (costume sombre et cravate pour les hommes, tailleurs unis, jupes ou pantalons, chemisiers pour les femmes). Collègues des deux sexes plaisantent, se font la bise pour se saluer. Rien de la distance que prenaient les femmes en Mauritanie.
Certes, dans la rue, j’ai vu quelques foulards, mais plutôt moins que dans les rues des quartiers immigrés de Paris.
Ce qui m’a également surpris c’est le niveau d’anglais des groupes de clients que j’ai rencontrés. Il y a longtemps que l’anglais est la première langue étrangère enseignée à l’école. Les entreprises sont obligées d’importer. Ce sont souvent des filiales ou des alliances avec des groupes industriels étrangers. Elles exportent autant qu’elles importent vers l’est et le moyen orient. La deuxième langue est nécessaire. De la secrétaire au patron, beaucoup parlent l’anglaisplus fluidement que moi et que beaucoup de mes collègues en France. Un anglais compréhensible, un assez bon accent. Il est vrai que le turc semble avoir, à l’écoute, un large spectre sonore, de quoi ouvrir l’oreille et favoriser l’apprentissage des langues.
A travers cela on perçoit tout de suite que la Turquie est grande plaque tournante entre deux mondes. Une liaison entre occident et orient.
La croissance. Il faudra que je regarde les statistiques. Mais je me suis retrouvé un peu dans les années 70, en plus moderne, avant le choc pétrolier. Tous les clients ont des projets, annoncent des bénéfices, des investissements, des accords.
Mais en même temps ils expriment une certaine réserve.
« Nous devons installer des choses simples pour garder notre avantage concurrentiel »
« L’Europe n’est pas forcément un modèle de simplification, de juste nécessaire »
Pas de course à l’automatisation dans les usines, très manuelles mais bien gérées avec des choses simples. Pas de course à l’arrivée de l’électronique dans les véhicules ; il faut continuer à produire des équipements que peuvent acheter et maintenir des pays en voie de développement au pouvoir d’achat modéré. Beaucoup donc de modestie et de clairvoyance. Un peu de scepticisme devant les technologies ou les tendances que nous leurs présentions. Un sens de la modération. Un excellent professionnalisme et un très bon niveau de compétence acquis, sur place, dans les universités.
Ce qui m’a frappé aussi, négativement par contre, c’est le nom respects des standards de sécurité des personnes et de protection de la nature auxquels nous sommes habitués. Nous avons suivi la côte entre Istanbul et Bursa. Le long de l’autoroute qui domine la mer pas de plages. Une suite ininterrompue d’usines : cimenteries, chimie, fonderies … Les cheminées dégueulent des fumées blanches. Souvent c’est un brouillard blanc que nous traversons. Je sens parfois une irritation dans les bronches. Le ciel est obscurci par la pollution. Les vallées encaissées enclavent des citées faites des mêmes barres d’immeubles que nous avions construites, dans les années 60 autour de nos centres industriels.
Nous avons visité une ligne d’assemblage de minibus. A part les presses et quelques machines de découpe au laser, tout le reste est manuel. J’ai retrouvé les moyens que nous mettions en place à la fin des années 70 dans nos usines de camions quand j’ai commencé ma carrière chez RVI. Le plus surprenant est la chaîne de peinture. A l’air libre en plein atelier. Peinture au pistolet. Pas de tunnel, pas de rideau d’eau …
C’est sûr que nos comités d’hygiènes et de sécurité ne sont pas présent sur place. Par cette situation, main d’œuvre sûrement moins chère, investissements limités, coûts faibles de la sécurité et de protection, la Turquie peut en effet être compétitive.
Par contre, les locaux sont vastes. Les bureaux sont propres, modernes, équipés. Les salles de réunions disposent des derniers moyens de projection. Les réfectoires sont modernes et gratuits. La nourriture saine
et copieuse.
J’ai pu passé, dans les trajets et au cours des dîners, de nombreuses heures avec mes collègues. Un français (moi), un américain (Jim) et deux turcs (Alkan et ….). Cela a été l’occasion de beaucoup parler de nos pays respectifs et de nos problèmes respectifs. La crise des banlieues en France a provoqué un bon débat sur émigration et immigration. La guerre en Irak un sujet de dissertation sur la démocratie, le rôle de l’armée. Les religions et le laïcisme ont provoqué bien des débats.
Les discussions étaient ouvertes. Là encore, j’ai trouvé un esprit critique, une capacité d’écoute, une ouverture d’esprit que je n’avais pas vu en Mauritanie chaque fois que venait ces sujets. Bien plus aussi que mes collègues tunisiens.
Je vais terminer là ce petit rapport sur ce surprenant pays. Non par le dépaysement qu’il procure mais justement par l’inverse, ce monde si proche du notre.
Cela m’a donné l’envie de revenir en temps que touriste. L’envie de confronter cette vue citadine a une vue provinciale.
Mes nouveaux copains sauront sûrement m’ouvrir les portes de vrai voyage loin des sentiers battus par les touristes.